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Les hommes de 1973 vont avoir, non pas 30 ans, mais … 50. Le temps passe, inaperçu, et on se surprend à fredonner une ritournelle dont on s’aperçoit avec stupeur qu’elle a déjà 20 ans d’âge.
Benjamin et Melvil. Melvil et Benjamin. Pêle-mêle, ils représentent ma rencontre avec Rohmer (Conte d’été), des années malouines (Un été sur la côte), le beauté blonde de Chiara (Home et la naissance de mon dernier fils), le Refuge, Isabelle Carré et Marie Rivière (Conte d’Automne, le Rayon vert, une diction si particulière), un câble de guitare ingrédient de suicide, et puis cette chanson-autopsie d’une rupture.
C* me l’a envoyée dès sa sortie. 6 mois plus tôt, cette fille adorable, au grand coeur, à l’empathie discrète avait été « débarquée » d’une histoire d’amour, sans explication, à la quasi veille des réveillons. Brutalement éteintes, les lumières de Noël , arrêtée en plein élan, la pétillance d’une fin d’année étoilée dans des bras amoureux. Des notes, des paroles, une voix, un thème…peu de choses en fait, et pourtant, en 5 minutes, Biolay nous livre l’autopsie d’une relation arrêtée net par un coup de fil fatal, un matin d’automne. « larguée par texto ». Vous souvenez-vous comme nous nous élevions contre l’inélégance – ou la lâcheté goujate- de cette pratique apparue avec le mobile? C’était chose impensable. Nous n’étions pas nés dans l’époque du SMS, et dans nos têtes, une rupture ça s’annonçait en personne… On peut pourtant entendre sonner le glas, dans un coup de fil, qui devient une arme (de poing/point) qui blesse et tue. Le coup de téléphone qui annonce un deuil. La sonnerie laissait-elle présager quelque chose? Comment l’air a t-il vibré différemment, juste avant? Et si on n’avait pas décroché, est-ce qu’on aurait pu suspendre le temps? Comment tout à coup sommes-nous rétrospectivement attentifs aux circonstances? A la qualité de l’air, la clarté de la lumière, l’endroit où machinalement nous nous sommes assis, les gestes qui étaient les nôtres juste « avant », le sécateur que nous tenions à la main, posé sur un coin de table, et qui tout à coup prend une dimension douloureusement symbolique…
J’ai lâché le téléphone comme ça
En ce beau matin d’automne pas froid
Ça ressemblait à l’été sauf que tu n’y étais pas
Puis j’ai regardé le ciel d’en bas
Indécis, voulais-je y monter ou pas?
Mais savais que j’étais fait, que j’étais fait comme un rat
Comment est ta peine?
La mienne est comme ça
Faut pas qu’on s’entraîne
À toucher le bas
Il faudrait qu’on apprenne
À vivre avec ça
Comment est ta peine?
La mienne s’en vient, s’en va
S’en vient, s’en va
Ce n’est pas parce que le texte n’est pas signé Apollinaire qu’il n’est pas digne d’une analyse … « dans ce premier mouvement, l’auteur plante le décor de l’annonce d’une mauvaise nouvelle qui le piège et l’enferme dans une peine qu’il va choisir d’affronter, même si l’espace d’un instant l’idée de se donner la mort l’a tenté. La peine a surgi, il a suffit d’une seconde pour qu’elle s’invite dans sa vie, et elle en fait désormais partie, comme une intruse mouvante, vagues qui vont et viennent, montagnes russes des émotions dont il est le jouet. »
J’ai posé le téléphone comme ça
J’peux jurer avoir entendu le glas
J’aurais dû te libérer avant que tu me libères, moi
J’ai fait le bilan carbone trois fois
Puis parlé de ta daronne sur un ton qu’tu n’aimerais pas
Tu ne le sauras jamais car tu ne m’écoutes pas
« Passée l’annonce funeste (le glas – champ lexical de la mort), vient aussitôt la recherche des causes. Dans une chanson, on ne dispose pas de 400 pages, pour emmener son lecteur à la découverte des raisons qui mènent à la catastrophe. Défaut d’écoute avéré, relation étouffante, non écologique et polluante, présence extérieure qu’on devine intrusive… l’auteur nous livre ici les ingrédients d’une rupture prévisible, avec toutefois une note d’espoir signifiée par la répétition de la notion de libération. »
Alors dis-moi C*, qu’est-ce qui a résonné dans ton coeur et ton body en juin `2020, quand tu as compris que Biolay racontait ton histoire sur les ondes? Quel effet (thérapeutique?) cette alchimie notes-rythmes-sons-mots a-t-elle déclenché?
Dis, comment sont tes nuits
Et combien as-tu gardé de nos amis?
Comment est ta peine?
Est-ce qu’elle te susurre de voler de nuit?
Comment va ta vie?
Comment va ta vie?
« Du temps a passé (ellipse – utilisation du passé composé « as-tu gardé ») et l’auteur se préoccupe de son « bourreau » avec l’apostrophe en début de strophe, s’effaçant de l’histoire. C’est lui qui est débarqué et pourtant c’est lui qui se préoccupe de la vie de l’autre. » Intéressant, non? Qui sait si, comme dans ton cas, ma chère C*, ce n’est pas la seule façon de survivre face à ce mur de silence assourdissant qui s’est tout à coup dressé devant toi? Ton empathie et ta gentillesse naturelles t’ont fait prononcer des paroles similaires. Ne proteste pas, je m’en souviens, tu me les confiais à l’époque.
Et puis tu t’es enfin demandée, longtemps après, comment était ta peine à toi. Comment est ma peine? Tu l’as observée, posée sur la table, sortie de ces nuits de larmes, remplies de nostalgie, d’incompréhension, de sentiment d’injustice, examinée, verbalisée, décortiquée. Pendant plus d’une année, elle a fait le va et vient, puis tu l’as laissée s’en aller.
La mienne s’en vient, s’en va
S’en vient, s’en va, s’en vient, s’en va
En partageant cette chanson avec moi, tu nous as permis de communiquer sans qu’il soit besoin de mots superflus. Elle dit tout, et maintenant, nous pouvons l’écouter avec une complicité qui va bien au-delà du simple clin d’oeil.
A Cath.
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